Le Multi-guichet

Dans la catégorie des choses qui me stressent, il y en a une qui mérite le podium du Top-10, c'est la poste, quand il y a plusieurs guichets ouverts... et autant de files d'attente...

Je m'explique : Vous entrez. Bon. Jusque là, pas de problème. Vous constatez qu'il y a 3 guichets d'ouverts. Encore mieux. Mais nous sommes à la fin du mois, le 34 avril, et il y a une bonne dizaine de personnes qui se répartissent plus ou moins également entre les 3 guichets.

Que fais-je, en bon cartésien ? Je jauge les files et l'encombrement des bras pour me placer derrière la queue semblant la plus prompte.

C'est à cet instant précis qu'un supplice chinois venu du fond des ages commencent à vous tordre les organes vitaux sans que vous ayez droit à ne fût-ce qu'un soupir.

AI-JE CHOISI LA BONNE FILE ?

Le guichetier d'a côté vient de prendre congé du premier obstacle fait client. J'effectue alors un pas discret vers la droite pour mieux investir ma patience, qui a des limites comme tout le monde le sait. La torture n'a pas encore atteint son paroxysme.

La tension monte, et de nombreux regards obliques s'entrecroisent pour s'assurer moralement de ne pas louper l'occasion de passer devant les moins prompts.

Mais c'est à ce moment que le diable en personne entre en scène pour me faire subir l'ultime supplice : UN NOUVEAU CLIENT vient d'apparaître, immédiatement suivi du claquement de la porte automatique qui n'aurais jamais dû le laisser entrer !

Insensible à nos tourments, le vil renard sous-pèse à son tour des yeux la longueur des files et les temps d'attente respectifs supposés !

Il a le beau rôle, l'infâme ! Ou qu'il se place, il sera derrière, et il lui sera facile de se faufiler à gauche ou à droite, mais moi, MOI, qui ne suis alors plus le dernier, je ne puis plus changer d'opinion ... Je suis à tout jamais coincé à ma place, car changer serait admettre d'avoir fait le mauvais choix, et laisserai alors la place libre au vil mécréant ! ... Et dans la cas somme toute probable ou le brigand m'eut pris alors la place passa avant moi, la honte ruissellerait durant quatre génération de ma dynastie ! La prière semble être la seule solution restante.

Coup de théâtre : 2 guichets se libèrent , mais quatre suppôts de Satan pénètrent à leur tour dans l'enfer postal... Les quatre bourreaux, futures victimes, se répartissent les queues.

Je suis au centre : Plus que deux inconvénients devant moi, debouts et glauques. Les regards troubles mêlés de peur et d'envie se croisent à qui mieux mieux dans un silence apocalyptique...

La transpiration m'humecte les joues et je déglutis tout en entendant mon coeur battre la chamade. Y a-t-il une justice divine ? Le premier entré sera-t-il le premier sorti, comme dans toute bonne morale, ou l'honneur sera-t-il bafoué et traîné dans la boue ? C'est à cet instant précis que je suis devenu croyant. Chantons tes louanges, Seigneur.

Mais la feinte spirituelle est vaine, et c'est plutôt Astaroth qui vomit son jugement, trabnchant d'un coup de glaive tout espoir. Heureusement que parfois, Satan préféra occire mes concurrents. Voici donc les deux conclusions possibles à cette immorale fable :

1. J'ai choisi la bonne file, et les clients précédents s'évanouissent du guichet comme neige au soleil, quand vient mon tour, sentant la délicieuse piqûre des regards faits couteaux, en provenance des queues voisines, je tends à l'aimable guichetière l'ensemble de mes paiements mensuels, je savoure alors l'ineffable instant ou le monde m'appartient, et l'impression soudaine et fraîche d'avoir grugé l'univers grâce à mes dons de clairvoyance m'envahit, le tout sans le moindre scrupule. Je m'éloigne alors, doucement, mais sûrement de ce lieu pourvoyeur de joies et d'instant de bonheur volé.

2. Le plus souvent, je n'ai pas choisi la bonne file, et je regarde, impuissant, désolé, mortellement blessé dans mon amour propre, les infâmes saligauds qui, entrés bien après moi, passent les uns après les autres, dans une cadence soutenue, font leur affaire, et ressortent bien avant moi, le coeur léger, et repus de m'avoir trucidé sans un cri, me laissant choir dans ma désolation sans même un regard de compassion... C'est à ce moment-là qu'on regrette de ne pas être en possession d'une arme à feu, destinée à régler directement le problème de l'attente à la racine : Les sombres crétins ayant sciemment choisi de faire la queue devant moi, dans le but inavoué mais évident de m'ôter mon honneur d'homme !

Ce ne sera que de longues minutes plus tard que je me traînerais agoniquement hors de la poste maudite, alors que le soleil sera sans doute couché depuis trois bonnes heures, hésitant entre Hara-Kiri, une chirurgie esthétique et l'inscription à la légion étrangère. Le cumul des trois sera sans doute la meilleure solution.